Dysphorie de genre chez les mineurs : les préconisations d'endocrinologues français ne se fondent pas sur les preuves
- Magali Pignard
- 24 janv.
- 21 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 5 jours
Alors que gouvernement britannique travailliste interdit la vente de bloqueurs de puberté en raison de leur « risque inacceptable pour la sécurité », un « consensus d’experts » parmi les endocrinologues français les recommande en traitement de 1re intention, tout comme les hormones sexuelles croisées : ignorant les revues systématiques des preuves et le Cass Review, ils affirment que des enfants avec très peu d’expérience sexuelle/de vie peuvent « comprendre les implications » d’un traitement aux effets à long terme inconnus, qui impactera leur vie entière avec un risque de infertilité/stérilité/dysfonction sexuelle, à un moment où leur identité est en pleine construction et où leurs priorités sont largement susceptibles d’évoluer. |
Dans un article récent (Brezin et al., nov. 2024), un « groupe de travail » de la SFEDP (Société Française d'Endocrinologie et de Diabétologie Pédiatrique) décrit ses préconisations concernant la prise en charge endocrinienne d’adolescents s’identifiant transgenres. Celles-ci sont à l’opposé du Cass Review (évaluation la plus complète de la pratique de la médecine du genre chez les jeunes), qui n’est pas cité. En se basant sur la croyance selon laquelle la dysphorie de genre ne peut se résoudre naturellement, les auteurs recommandent, sans attendre, des bloqueurs de puberté et hormones sexuelles croisées comme traitement de 1re intention : des interventions invasives et souvent irréversibles, non soutenues par les revues systématiques des preuves (regroupées dans ce post) : il semble par ailleurs que les auteurs ne soient pas au courant de ces études (qui représentent le plus haut niveau de qualité des études), malgré leur appel à ce que les jeunes aient accès à des informations « aussi éclairées que possible ».
Ce « Consensus d'experts » français tranche avec l’avis officiel d’experts médicaux britanniques de la Commission des médicaments à usage humain, qui considèrent que « la prescription continue de bloqueurs de puberté aux enfants présente actuellement un risque inacceptable pour la sécurité ». Suivant cet avis, le gouvernement travailliste a poursuivi l’interdiction de la vente et fournitures de bloqueurs de puberté, pour une durée indéterminée.
Plutôt que de s'appuyer sur des preuves solides, les auteurs se calquent sur les dernières lignes directrices de l’Endocrine Society (2017) et de la WPATH (Standards Of Care 8 2022) : ces lignes sont liées par un coparrainage et ont influencé presque toutes les lignes directrices existantes, créant, malgré la faiblesse des preuves, un consensus trompeur en se rapportant à leurs propres directives par le biais un référencement circulaire (Taylor et al. 2024).
Par ailleurs, des documents judiciaires descellés en juin 2024 ont révélé que lors de l’élaboration de leur directive, la WPATH a omis de suivre les principes de la médecine fondée sur les preuves, en supprimant les preuves qui pourraient avoir un impact négatif sur l'accès aux traitements de réassignation sexuelle, notamment chez les mineurs.
Selon ce groupe :
la dysphorie de genre chez les adolescents ne peut pas se résoudre d’elle-même, alors que des études récentes montrent le contraire,
le traitement endocrinien est la seule option pour réduire la détresse psychologique, quelle que soit sa cause, favoriser le développement psychoaffectif et cognitif affecté par un état dépressif, alors même que les effets des bloqueurs sur le développement cognitif sont inconnus, que l’impact positif de ce traitement sur la santé mentale n’est pas soutenu par les preuves existantes.
ne pas donner ces traitements augmente le risque de suicide, ce qui n’est pas non plus soutenu par les preuves existantes.
les enfants avec peu, voir pas, d’expérience sexuelle, peuvent consentir aux bloqueurs de puberté notamment : ceux-ci supprimeront notamment tout désir sexuel (castration chimique), au moment des 1res relations amoureuses, avec un risque de les rendre fertiles/stériles à l’âge adulte s’ils poursuivent par les hormones sexuelles croisées, ce qui est très souvent le cas, comme les auteurs le reconnaissent.
Les auteurs mentionnent à plusieurs reprises l’importance d’obtenir un consentement éclairé, alors que :
les conditions nécessaires au recueil d’un tel consentement devraient inclure l'exploration de toutes les alternatives (ce que ne s’embarrassent pas de faire les auteurs) ;
la prise de décision clinique est un défi : le Cass Review, qui y a consacré tout un chapitre, mentionne dans son rapport final que « le devoir de communication d'informations est compliqué par de nombreux éléments inconnus concernant les impacts à long terme des bloqueurs de puberté et/ou des hormones masculinisantes/féminisantes pendant une période de développement dynamique où l'identité de genre peut ne pas être fixée » (16.18).
Ligne de conduite de ce groupe de travail
Se référer à l’OMS, qui n’a pourtant pas pris de décision concernant les mineurs
La SFEDP se réfère à l'OMS alors que l’OMS n'a pas pris de décision concernant les enfants et les adolescents car « la base de données probantes sur les enfants et les adolescents est limitée et variable en ce qui concerne les résultats à long terme des soins d'affirmation de genre pour les enfants et les adolescents ». 15 janvier 2024
Ignorer les directives n’allant pas dans le sens souhaité
Pour élaborer ses préconisations, le groupe de travail
ignore les directives axées sur la sécurité de l’individu comme les directives finlandaise et suédoise, qui sont pourtant les seules à avoir obtenu un score > 50 % pour la rigueur et le développement dans la revue systématique des lignes directrices internationales (Taylor 2024).
ignore le Cass Review, dont les recommandations se basent entre autres sur les revues systématiques les plus vastes à ce jour, absentes de tout l’article. A noter que le Cass Review a été pleinement accepté par le NHS , soutenu par les deux principaux partis politiques britanniques et largement adopté par la communauté médicale britannique.
Adapter les recommandations de la WPATH (2022) et de l’Endocrine Society (2017)
Le groupe de travail de la SFEDP procède comme les organisations médicales aux US, à qui il se réfère succinctement : il calque ses préconisations sur les lignes directrices trans-affirmatives de la WPATH 2022 et de l’Endocrine Society (2017), dont les scores concernant la rigueur et le développement sont respectivement 35 % et 42 % (revue systématique Taylor 2024). Cette revue a démontré que ces organisations sont liées par un coparrainage : WPATH 2022 s’est largement appuyée sur l’ES 2017, qui a eu une implication directe dans l’élaboration de la WPATH 2012 (score 26 %), celle-ci s’étant largement appuyée sur l’ES 2009 (score 44 %). (voir figure ci-dessous)

Le Cass Review, ignoré par ce groupe de travail, a souligné le caractère problématique de ce référencement circulaire, déclarant que « La circularité de cette approche pourrait expliquer pourquoi il y a eu un consensus apparent sur les domaines clés de la pratique malgré la faiblesse des preuves ».
La façon de procéder de ce groupe de travail induit ainsi en erreur les professionnels de santé et le public, les amenant à croire en la validité et à la fiabilité de recommandations basées sur des preuves faibles.
La WPATH est par ailleurs au cœur d'un scandale scientifique :
La WPATH a contrôlé le contenu des revues systématiques qu’elle avait commandé pour sa directive de 2022
Cette suppression des preuves a été révélée par des communications internes assignées à comparaitre dans le cadre d’un procès en Alabama aux US. Ces communications concernent le processus d’élaboration de leurs « standards de soins 8 » (2022), et une partie a été descellée pour le moment. Pour élaborer leur directive, la WPATH a commandé plusieurs revues systématiques des preuves à l’université Johns Hopkins, UJH (plus précisément, au « Evidence-based Practice Center », qui est la référence dans ce domaine).
Tout d’abord, ces échanges révèlent que les responsables d’au moins un chapitre de la directive ont choisi de ne pas faire procéder à une évaluation des preuves à l’UJH car « Nos préoccupations, partagées par les avocats en justice sociale avec qui nous avons parlé, sont que l'examen basé sur des preuves révèle peu ou pas de preuves et nous place dans une position intenable en ce qui concerne l'impact sur les politiques ou la victoire dans les procès ». (exhibit 174, p./131)
La WPATH a considéré que les revues systématiques étaient leur propriété et qu'elle pouvait donc interférer dans le contenu
La responsable de l’équipe chargée d’évaluer les preuves s’est indignée de ce procédé
Bilan
Dans le détail : arguments avancés par ce groupe de travail de la SFEDP
Les enfants sont aptes à consentir à ce traitement
Les auteurs argumentent par une étude qui a tenté d'évaluer la capacité décisionnelle des adolescents souhaitant une transition médicale, en administrant le questionnaire MacCAT-T à des adolescents de 14,7 ans en moyenne (Vrouenraets et al. 2021). Ils ont conclu que les adolescents étaient capables de consentir au début de la suppression pubertaire. Mais comme le soulignent Levine, Abbruzzese, Mason (2022), ce questionnaire n’a pas été conçu pour les enfants, mais pour évaluer les capacités de consentement d’adultes avec démence, schizophrénie et autres troubles psychiatriques. Les deux contextes ne peuvent pas être comparables : ces enfants n’ont pas les expériences de vie leur permettant de consentir à des interventions médicales qui impacteront leur vie entière, y compris leurs relations futures. Il est douteux que des enfants n’ayant pas eu d’expériences sexuelles puissent appréhender la perte possible de leurs fonctions sexuelles et de leurs capacités reproductives futures.
Rappelons que la Haute Cour en Angleterre (décembre 2020) a jugé que les moins de 16 ans étaient peu susceptibles de comprendre pleinement les effets à long terme du traitement et de donner un consentement éclairé : à partir du constat que l’immense majorité des jeunes sous bloqueurs de puberté poursuivent par les hormones sexuelles croisées (la revue systématique des parcours de soins de l’Université de York (Taylor 2024) a révélé que 0 à 8 % des jeunes ont interrompu la suppression de la puberté), la Haute Cour a suggéré que les enfants/jeunes devraient comprendre les conséquences d'un parcours de transition complet afin de consentir au traitement par des bloqueurs de puberté. Elle a estimé qu'il est « hautement improbable qu’un enfant de 13 ans ou moins puisse consentir au traitement », et il est « douteux qu’un enfant de 14 ou 15 ans puisse en comprendre les conséquences ».
Consentir à ne jamais connaître le plaisir sexuel ?
Les auteurs soulignent l’importance d’informer les garçons de 11-12 ans candidats aux bloqueurs de puberté que leur utilisation « peut modifier les techniques chirurgicales possibles en cas de désir futur de vaginoplastie » : en effet, à l’âge de la vaginoplastie, leur pénis aura la taille et la maturité sexuelle d'un enfant de 11-12 ans : il n'y aura donc pas suffisamment de tissus provenant du pénis et des testicules pour former une cavité vaginale et un clitoris. Dans ce cas, des tissus intestinaux sont utilisés pour créer un vagin. La présidente de la WPATH Marci Bowers admet que les garçons sous bloqueurs en tout début de puberté seront des adultes anorgasmiques s’ils poursuivent par des œstrogènes à vie et une vaginoplastie, Symposium, université Duke 2022, The Free Press, avril 21.
Comment un enfant de 11 ans n’ayant aucune expérience sexuelle/amoureuse peut-il comprendre que les implications de ce choix, qui les privera probablement de connaître le plaisir sexuel, et affectera à vie ses futures relations amoureuses ?
Les professionnels admettent entre eux que ces enfants ne peuvent pas consentir
Des professionnels expérimentés dans le suivi d’enfants avec dysphorie de genre admettent entre eux que ces enfants ne peuvent pas consentir :
« C'est toujours bien en théorie de parler de préservation de la fertilité avec un adolescent de 14 ans, mais je sais que je parle à un mur. (...) je ne sais toujours pas quoi faire pour les adolescents de 14 ans. Les parents y pensent, mais les adolescents de 14 ans, vous savez... C'est comme parler de complications du diabète avec un adolescent de 14 ans. Ils s'en fichent. Ils ne vont pas mourir. » Dr Dan Metger Pédiatre endocrinologue à l'Hôpital pour enfants de la Colombie-Britannique à Vancouver, membre de la WPATH
« [concernant les enfants et adolescents] C'est un peu un aspect développemental, c'est en dehors de leur plage développementale parfois de comprendre dans quelle mesure certaines de ces interventions médicales les impactent. ». Dianne Berg, Psychologue pour enfants et co-auteure du chapitre sur les enfants des normes de soins 8 de la WPATH
Source : Workshop : évolution de l'identité, 6 mai 2022
Donner son consentement en étant privé de sa capacité à prendre des décisions complexes ?
Un autre problème concerne les enfants sous bloqueurs de puberté qui doivent donner leur consentement pour recevoir des hormones sexuelles croisées. En effet, ces bloqueurs non seulement inhibent le développement des caractères sexuels, mais perturbent également la maturation cérébrale qui se produit normalement durant la puberté. Or, cette maturation est essentielle pour le processus de prise de décision. Selon le Cass Review : « Il existe également des inquiétudes selon lesquelles les bloqueurs pourraient modifier la trajectoire du développement psychosexuel et de l'identité de genre (83). (...) La maturation cérébrale peut être temporairement ou définitivement perturbée par l'utilisation de bloqueurs de la puberté, ce qui pourrait avoir un impact significatif sur la capacité du jeune à prendre des décisions complexes comportant des risques, ainsi que des conséquences neuropsychologiques potentielles à plus long terme (14.38) ».
Sallie Baxendale, auteure d’une revue des impacts de la suppression de puberté sur la fonction neuropsychologique (fev. 2024, non mentionnée par les auteurs de cet article) mentionne que « La puberté est le processus neurodéveloppemental qui littéralement construit l'architecture neuronale qui permet aux personnes de réfléchir à des questions complexes et nuancées. Bloquer la puberté empêche le recâblage crucial du cerveau qui sous-tend la capacité à prendre des décisions complexes. Les bloqueurs de puberté peuvent donner aux enfants le temps de réfléchir, mais ils les privent simultanément de leur capacité à le faire ». (UnHerd, 20 mars 2024)
Deux autres aspects non pris en compte
Selon les auteurs, le consentement éclairé est obtenu lorsque le jeune est capable de consentir, mais ce n’est qu’un aspect : deux autres aspects doivent être pris en compte :
décider quelles options de traitement sont appropriée
Cette étape est sautée par les auteurs. Pourtant, le Cass Review mentionne que « l'une des questions éthiques les plus difficiles est de savoir si et/ou quand l'intervention médicale est la réponse adaptée. (...) La maturation d'une personne se poursuit jusqu'à la mi-vingtaine et pendant cette période, l'identité de genre et sexuelle peut continuer à évoluer. Les priorités et les expériences au cours de cette période sont susceptibles de changer. (...) Pour ces raisons, de nombreux cliniciens consultés par la revue, tant au niveau national qu'international, ont déclaré qu'ils ne peuvent pas prédire de manière fiable quels enfants/jeunes réussiront leur transition et lesquels pourraient regretter ou faire marche arrière à une date ultérieure » (16.9 à 16.11).
Fournir les informations dont le patient a besoin pour prendre une décision éclairée sur les options proposées.
Les informations fournies à la personne proviennent d'études présentant divers problèmes méthodologiques, avec des inconnues à long terme, comme le reconnaissent les auteurs. Comme le mentionne le Cass Review : « En envisageant les interventions endocriniennes, le grand nombre d'inconnues concernant les risques/bénéfices pour chaque individu et le manque d'informations robustes pour les aider à prendre des décisions posent un problème majeur pour obtenir un consentement éclairé. (16.34) (...) Les informations [sur les avantages et risques à long terme des interventions hormonales provenant de résultats d'autres personnes] ne sont actuellement pas disponibles pour les interventions chez les enfants et les jeunes (...), de sorte que les jeunes et leur famille doivent prendre des décisions sans avoir une image adéquate des impacts potentiels et des résultats (...) (90) »
Les auteurs rappellent que « l’intérêt supérieur de l’enfant est une référence dans la prise de décision ». Mais comme le mentionne le Cass Review : « Les décisions dans l'intérêt supérieur sont particulièrement difficiles lorsque le traitement proposé a un impact important, est difficilement réversible et que le résultat du traitement est moins prévisible » (16.33).
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